j'ai soif !

Curieusement c’est à nous autres ivrognes que Sidi Ramdam décoche en premier son signe avant-coureur pour nous annoncer sa venue, nous dire qu’il sera bientôt parmi nous. Il ne pointe pas son croissant à l’empyrée comme pour le commun des croyants, il ne le glisse pas, non plus, entre deux nuages pour voir qui de ses zélateurs saura le déceler avant les autres. Il lui suffit juste de dépêcher sur les lieux quelques éléments de la police pour signifier au gérant du bar que l’heure est à la fermeture et que les usagers feraient mieux de se mettre en condition pour le régime sec, les trente-six jours à venir. Notre ramdamisation commence tout le temps quatre jours avant les autres et fait de la prolongation deux jours après la fête…

On se savait tous condamnés à ce régime-la, fait d’un tantinet d’abstinence et de moult hypocrisies. De même qu’on ne saurait faire boire un âne qui n’a soif, on ne saurait non plus faire d’un âne atteint de potomanie du jour au lendemain un abstème parfait et qu’après onze mois passés à la bébine, le sevrage n’en sera que plus difficile.

Et il n’y avait pas jusqu’à la barmaid qui ne portait ce jour-la pour une fois la djellaba et le fichu, signe s’il en était qu’elle aussi pouvait à l’occasion faire preuve de foi et de repentir. Je voulais la consoler de ce qu’il allait advenir de nous tous. Je l’appelai donc et lui dis :

-Korretta ! Maintenant que c’en est fini avec le travail au bar, tu auras au moins un temps à toi et un autre à consacrer à tes trois enfants … tu te repentiras un moment et c’est cela de gagné !

- Pour moi ce n’est pas aussi simple que cela : Une fois le bar fermé, je ferai le trottoir. Je ne me fais pas d’illusion à ce sujet… c’est là la seule façon qui me soit encore possible pour nourrir les miens. Ramdam sera vraiment adorable s’il prend en charge mes enfants pendant ma mise au repos obligé… je ne demande que cela : Nourrir mes enfants et c’est trop demandé à ce que je vois

- Mais on dit plutôt chômage technique ! d’où est-ce que tu tiens ce mot-la ?

- J’ai une sœur à Toronto, une barmaid elle aussi et c’est ainsi qu’elle appelle la chose quand elle se trouve un moment sans travail. Seulement, on la paye même à ne rien foutre… Ah le Canada ! mais pourquoi est-ce qu'on est jamais traité de khoroto à Toronto ? Peux-tu me le dire toi qui lis tout le temps Aujourd'hui le Maroc?