L'An I

Automobiles shot out of deep, narrow streets in the shadows of bright squares. Dark clusters of pedestrians formed cloudlike strings. Where more powerful lines of speed cut across their casual haste they clotted up, then trickled on faster and, after a few oscillations, resumed their steady rhythm. Robert Musil

V

u depuis mon comptoir, le monde est triste, son spectacle est désolant, lugubre … qu’à ce constat, me vient à l’esprit l’idée, saugrenue certes, que j’en suis redevable devant l’Eternel, personnellement, de cet état du monde donc, pour m’avoir laissé accouder de la sorte, mollement il faut dire, au comptoir dans une posture qui ne peut qu’en attirer, de ces idées suspectes. Au lieu de me ressaisir, de mettre un peu de dignité dans ma façon d’être dans le monde, je trouvai un vilain plaisir à le faire perdurer, simplement en regardant nos bourgeois affairés allant leur chemin, qui diagonalement, qui horizontalement, qui verticalement, selon l’inspiration du moment, par-delà le code de la route…il ne faisait aucun doute, en mon esprit alors qu’à en juger d’après le comportement reproduits par les uns et les autres sur la place publique, nous étions d’une certaine façon bel et bien dans une société laïque et que pour la foi et pour les filles, il y a des maisons pour ça. Autrement, comment expliquer qu’aucun de ces chauffeurs ne se rappelât le moindre précepte religieux, n’eût pris son prochain en compassion, ni la peine de prendre en patience son champignon quand la vieille femme, le vieil homme voulaient traverser la rue en y mettant la lenteur de leur âge où la disgrâce que trahissent leurs origines campagnardes.

De dépit, j’aillais me fourrer l’index dans la narine, la triturer un bon coup comme à mon habitude en ces moment-là quand je m’ennuyais, lorsque se produisit ceci d’extraordinaire : un vieil homme n’osait traverser la rue de peur d’être écrasé par un de ses coreligionnaires. Un feu roulant de voitures lui passait en effet sous le nez sans discontinuer et sans jamais s’arrêter pour lui donner, à lui le vieil homme, le luxe de passer à l’autre côté du boulevard. Il en était ainsi un moment, un long moment … Contre toute attente, une voiture s’arrêta tout net, invitant l’homme à y aller enfin à son rythme, dans l’accomplissement de ce qui lui semblait être alors la grande traversée de sa vie. L’autre trottoir. La conductrice, une jeune femme, sortit la main gauche de la fenêtre et pria le vieillard d’y aller. Ce dernier, intimidé jusque-là par le comportement des autres automobilistes dut mettre un temps pour décoder son message. Probablement parce qu’il pleuvait et que le feu était au vert, le vieillard n’osait portant y mettre le moindre pas. Il ne fallait plus pas plus pour que les autres automobilistes se mettent à klaxonner après la conductrice, donnant à entendre que partout dans le monde on était ou diesel ou essence mais au Royaume des Sens l’on ne roulait qu’à coups de klaxon. Heureusement, l’antagoniste du jour faisait apparemment fi de ce particularisme marocain et s’entêtait à bloquer le flux, tant que le vieillard n’eût atteint l’autre côté du boulevard. Un moment, le vieil homme indiqua du bout du doigt à la femme tour à tour le feu alors au vert et l’agent de police, une femme, qui se tenait vigilamment à quelques mètres de là ; la conductrice lui répondit en levant son doigt à elle vers le ciel comme pour lui signifier qu’il pleuvait et qu’il pouvait y aller en premier, lui le vieux, le piéton, quand bien même cela n’était pas du goût des autres…. Ce dialogue de sourds en rajoutait à l’exaspération des autres conducteurs et cela faisait un ridicule concert de klaxons, de plus en plus assourdissant. Intenable.

Ce n’était qu’à ce moment-là que l’agent intervint enfin. D’un geste, la femme policier cristallisa l’effet du feu rouge, l’inhibant dans ce qu’il avait jusque-là d’univoque et d’indiscutable, donnant à ceux qui y étaient obligés le loisirs d’en être pour une fois exonérés, de rouler au feu rouge… Mais le vieillard n’arrivait toujours pas à se décider. L’agent alla vers lui, lui prit la main et lui fit traverser le boulevard, pas à pas, doucement, le plus posément du monde. L’homme se confondait en remerciements tout au long du trajet mais une fois arrivé en lieu sûr, sur le trottoir il se mit à gesticuler d’une drôle de façon, à maugréer qu’interpellé par un autre piéton au sujet de cette aventure (et c’en était vraiment une) le vieillard lui répondit qu’on avait plus de respect pour les gens de son âge et que sans le concours d’une conductrice qui avait bloqué la circulation, secondée par une autre femme, l’agent de circulation, il serait à l’heure qu’il était à poireauter encore sur le trottoir, en attendant ce qui devait être dans son univers mental Godot pour lui tendre cette main secourable. En racontant son aventure au piéton, L’homme n’aurait en dernière analyse fait que relater une succession de faits, plus ou moins fidèlement et reconnu grâce aux deux femmes pour lui avoir sauvé la mise, mais pourquoi diable ne s’empêchait-il pas d’adjuver au vocable « femme », un autre vocable, intraduisible :« hachakoum ». il ne me fallait pas plus, à moi, pour sentir la tentation de remettre mon index dans la narine, de dépit. Vous l’aurez compris.

Commentaires

Anonyme a dit…
Gar, surtout restes fidèle au comptoir et continue à nous raconter ces instantanés qui en dit long que milles discours.
Si j’ai bien compris la rencontre s'est soldée par un nul. Les deux jeunes femmes ont marqué deux buts (chacune un ) et le vieil homme a transformé le penalty avec succès grâce à son « hachakoum » . Ce qui ne fait un score de 1-1.
Dis, avant de sortir ton index, on fait les prolongations ou en passe directement aux tirs au but ?
GarAmud a dit…
tu en as le droit, cher Larbi, de récapituler de la sorte, en bon musulman : un homme vaut deux femmes et, pour extrapoler, je dirais que le jour où nos mouvements islamistes se mettront à préconiser qu'au suffrage universel la voix d'un homme devrait en valoir deux de femmes, je leur reconnaîtrai de mon côté le mérite d'être cohérents avec leur conviction, car comme tu le sais, s'il en est ainsi au moment de réguler la succession (l'héritage), et si ainsi qu'il est connu et reconnu dans notre formidable jurisprudence, le témoignage d'un homme devant le juge en vaut deux de femmes pourquoi ne pas exiger cela aussi lors des élections : cela fera vraiment islamiste...
sur la prolongation et le tir aux buts, je ne sais vraiment quoi te dire sinon que dans la vie comme au tiercé, au quarté : ila mabghatch tetla3, dir liha sba3. (en berbère : igh our tri affella, gass adad ghou zdar)
Anonyme a dit…
Gare gar !
Je ne suis pas de ceux qui disent un homme vaut deux femmes. Ni des abonnées aux salles de prières.
Sinon…. d’accord avec ton analyse (mais à quoi bon !)
GarAmud a dit…
Larbi,
Je sais que telle n'est pas ton idée là-dessus... et pour le reste je m'estime heureux de partager avec toi l'idée selon laquelle un index ne sert pas seulement à triturer d'ennui la narine :)
Anonyme a dit…
L’index sert à plein de choses mon cher Gar. Faut juste savoir bien s’en servir …
Tu sais la doigture est un art :)
GarAmud a dit…
Larbi,
On nous a élevé, à l'école à tout le moins,avec le seul souci de montrer du bout de l'index tout ce qui qui n'est pas conforme à la pensée unique : certains hommes, certaines femmes, certaines pensées... tout était mis savamment à l'Index en somme, qu'au bout, nous sommes devenus le peuple qui en joue le plus, avec doigture et dextérité
Anonyme a dit…
Gar: T'es remonté là. Mais t'as raison!
Je peux savoir quelle goutte a fait déborder le vase ?
Tu sais Gar, on en a tous marre! wellah! le pire c'est que les choses ne font que s'aggraver grâce à Amro & co!
allez fais moi plaisir et mets nous, pour l'an II, un truc sympa qui donne l'espoir .
laseine a dit…
"Femme hachakoum", on devrait bannir ce terme intraduisible de notre langue. Hmar hachakoum, Kelb hachakoum, yhudi hachakoum ...

GG : Génial Guergour
Tu as raison ... igh our tri affella, gass adad ghou zdar
Tu mets toujours le doigt aux bons endroits
V u depuis ton comptoir, le monde hachakoum est triste, son spectacle est désolant, lugubre …
laseine a dit…
Larbi,
laisse Guergor faire. Comme dirait Cioran, "Il ne lutte pas contre le monde, il lutte contre une force plus grande, contre sa fatigue du monde."
Anonyme a dit…
Salut grrr...
Un marocain, homme ou femme, dans une bagnole, ça te change tout un monde! A-t-on toujours besoin d'être au volant pour se mettre en dérision? Je me le demande souvent...
Anonyme a dit…
porkoi personne ma repondu au sujet du doigt dns le cul
Je viens de lire avec délectation le doigt accusateur.
L'index m'indique une ressemblance à ceux de la TUNISIE et que la femme au volant et la policière aussi. La seule differnce c'est les insultes: les votres c'est un index au miel ( plutôt garn gzal) les notres sont des index à l'aloès.
Et les automobilistes c'est des paons qui tiennent leur queue ( le volant ) entre leurs mains.
Pour finir je pense que la femme est l'égale de l'homme mais nous sommes differents....
Une chasson dit aussi:"la femme est l'avenir de l'homme"
MÉRE SOEUR ÉPOUSE, JE VOUS AIME
Najlae a dit…
Chapo Gar,
Je m'incline,as always.
xoxo
Anonyme a dit…
j'aime cette façon de raconter l'inénarrable de façon détachée, comme ça, de loin, de son comptoir d'ennui, désabusé, le doigt dans le nez, sans révolte ni nervosité face à ce théâtre de fous qu'est la rue marocaine; ça me rappelle une fameuse artère de Äkkari, bruyant quartier de Rabat, où je lisais des torchons attablé à la terrasse. Heureusement il y avait les mots fléchés pour se distraire, de temps en temps, de la nullité ambiante. Le temps et les mentalités semblaient alors figés dans une malédiction infinie; comme celle qui pèse sur les femmes, les juifs, les animaux, décrétée par je ne sais quel Démon qui tient les fils de cette communauté condamnée aux faux fuyants et à l'esquive de je ne sais quelles hontes cachées, subies, interiorisées...

Et ma révolte silencieuse, lâche, mes mots fléchés et mon café, mon doigt dans le nez par intermittences, les sourires de terrasse et le silence infini.

" Hachak": intérioriser, cacher, effacer, voiler, comme cette crotte de nez honteuse qui pend à l'index et dont il faut vite se débarrasser, subrepticement, question de fierté et de dignité virile. Je n'ai jamais compris le sens de ce mot ni toute la honte qu'il suppose escamoter.

Je dois être un inapte social, un idiot, " hachakoum". Merci Gar pour cette énième déléctation; comme le plaisir secret d'un doigt dans dans des narines sèches d'avoir trop humé l'air âpre et irrespirable de la société urbaine maghrébine.

Atanane ( http://www.20six.fr/atanane )
Selma a dit…
gar,
ton post m'a fait réfléchir sur beaucoup de choses,et j'en suis finallement arrivée à la conclusion suivante:le vieillard,hormis le fait qu'il soit vieillard,faible,vulnérable,méritait -il vraiment pareil geste!
je sais que c'est méchant et inconcevable,mais c'est que ton histoire me rappelle une situation que j'ai personnellement vécu:
:aux urgence,nous recevons un cas d'abcè gangréné qui avait trainé dans un patelain du sud du pays,il a été vu par un généraliste,qui n'a pratiquement rien fait et l' a adréssé au CHU,le malade s'est compliqué entre temps,et a été admis en situation critique,j'ai posé la question suivante au chef de garde:si c'était moi le généraliste en question,est ce que je pourrais tenter,meme avec les faibles moyens du bord,d'inciser ou d'amputer,pour sauver l'homme.sa réponse fut d'un cruel réalisme:surtout pas,si votre geste est réussi,personne ne vous en voudra mais personne ne vous dira "allah yarham lwalidine" aussi,vous aurez ,pour les autres tout simplement fait votre devoir,et rien de plus,alors que votre acte est suicidaire.mais si le malade se complique entre vos mains,meme si vous vous etes scinder en 2 pour le sortir du pétrin,on va vous démolir,surtout que vous etes femme,votre carrière et votre vie sera fichue,le mieux c'est de dégager sa résponsabilité et de referer,vous n'avez pas à faire les frais de la politique de l'etat.
je veux dire que si on manque d'altruisme de nos temps,c'est bien parce qu'on est convaicu quelque part que les autres ne le méritent pas.c'est un cercle vicieux,l'homme nait bon;et c'est la société qui le pourrit!
Anonyme a dit…
Bloggez a l'aise, c'est facile et c'est gratuit...

www.jwane.com/login.php
Najlae a dit…
Mais ou et donc or ni car?>
Anonyme a dit…
Salut gar. j’adors ton blog
En fait voilà ton cadeau du nouvel an :
Yout i9jdr ti9lit
Arassn tala toudfit.
Anonyme a dit…
salam
where are you man

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