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Affichage des articles du novembre, 2005

Deux mondes différents ...

Le vieil homme, le pas mou, dut écraser quelque chose sur son passage, une queue laissée à l’abandon sur le couloir par son propriétaire, un chien d’agrément qui répondait au nom de Goupio. Ce devait être aussi un de ces chiens qu’on dit savants pour avoir ainsi dominé sa douleur, fait preuve de sang-froid, de dolorisme et même de philosophie, en se ressaisissant avec un air muet, à peine désabusé, là où un Marocain moyen en serait venu aux gros mots, Tout bonnement : Makatchoufch al 7ayawanne (1) ! L’homme ne s’en était même pas aperçu. C’est pourquoi, présumèrent tous les habitués du coin, continua-t-il sur sa lancée, droit sur la table au fond du café, où trois autres vieux l’attentaient déjà, chacun à la main un verre de thé à la menthe. Tous arborèrent un sourire bon enfant à le voir accourir vers eux. Il faut dire qu’une partie de jeux de carte allait bientôt être amorcée par eux et qu’avec la venue du quatrième le quorum y était enfin. Ce serait alors comme toujours, deux c

Babel Bar

Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à formuler le fond de leurs pensées, quand elles sont à rebrousse-poil, dans une langue étrangère. Craignent-il d’offenser les totems de la tribu et ses idoles ? la résonance vaginale ? ses bien-pensants, Peut-être … je ne parle pas de l’occurrence « chou de Bruxelles », accouchée telle quelle, dans un texte très british, et mettons « Les Versets sataniques », par exemple, au tout début et l’œuvre parce que, paraît-il, dès qu’il s’agit de ce chou-là, l’on ne pourrait le rendre, dans quelque langue qu’on écrit, autrement qu’en français…Je ne parle pas là de cette occurrence, somme toute technique, même si sur le coup l’écrivain est devenu l’homme à abattre pour les uns et un chou pour les autres. Dès lors, le chou ne relève plus de l’ordre du neutre, mais du foutre. Par deux reprises et sous le même toit, ai-je assisté cet après-midi à deux scènes des plus éloquentes à cet effet où des gens, pour ne pas avoir à être confondu dans leurs propos, t

Le Chat Noir 7

Incrédule était mon voisin qui se rassit à côté de moi, déposa le petit chat sur la table et me pria d’en juger par moi-même. A cet effet, il lui écarta la queue, en la tirant par le haut, de façon à ce que l’animal, son arrière-train dûment inspecté de plus près, avec ses deux joyaux de la princesse tombants, n’eût prêté le flanc à aucune ambiguïté quant à son identité sexuelle. Un chat. Bien sûr que je savais qu’il en était un, de robe noire, de sexe masculin ; je le savais et de visu s’il vous plaît ! pour lui avoir tenu du bagout un moment et d’après le timbre de sa voix, il ne pouvait être qu’un chat. Pour être agréable à l’homme, j’en étais même venu à dire tout le bien que je pensais des félins en général et du spécimen alors humilié sur la table en particulier. Je fournissais un discours des plus cohérents sur l’animal, en me rappelant mes anciens cours de Sciences Nat, qu’à en juger d’après le volume de ses deux testicules, il devait en avoir dans les cinq balles et des yeu

Le Chat Noir 6

Aussi, ne m’étais-je jamais senti en forme pour vivre dans un grand ensemble, surtout en co-propriété. Cette psychorigidité n’était point mon seul apanage, mais généralisable à toutes les gens qui y vivaient au même titre que moi : des montagnards et des campagnards dans leur majorité. Ceux-ci, en reconnaissance de leurs hauts faits d’arme pendant la guerre de libération, s’étaient vus gratifiés par l’Etat de logements subventionnés et d’autres agréments encore. Après tout, Semblait dire le Léviathan, ces gens là avaient pris le maquis quand les autres faisaient du business avec l’Occupant. Le fait est que, un demi-siècle après l’indépendance, certains en sont encore à courir après ces agréments dont un particulièrement, un musicien très connu sur la place, qui était allé s’en procurer lui aussi de ces « Indulgences », sous prétexte qu’il avait lui aussi fait de la résistance. Il était, avançait-il sans sourciller, le seul Marocain qui eût osé jouer au violon à l’occidentale, horizonta

Le Chat Noir 5

Pourtant, je ne m’étais jamais dit que le voisin d’au-dessus était mon ennemi, ou qu’il le serait un de ces jours, quand bien même tout, dans sa façon d’être, m’y poussait. Et d’abord cette façon qu’il avait en propre, à afficher sa foi dans les crasseux couloirs de l’immeuble et par extension sur la place publique, toute aussi crasseuse. J’avais toujours gardé avec lui un rapport pour ainsi dire strictement juridique, ne me permettant aucune liberté avec lui, une conduite qu’il me rendait de son côté si bien que, las de devoir tout le temps nourrir le même sentiment l’un à l’égard de l’autre, nous en étions venus tous les deux à nous ignorer souverainement. Quand nous nous étions croisés le regard la première fois au couloir, je m’en souviens encore, il y avait quelque chose de physique dans l’air qui nous faisait tenir sur nos réserves. Ce devaient être, d’un côté mes effluves bacchanales qui me rendirent ainsi moralement insolvable aux yeux de l’homme et de l’autre côté, je dois dir

Le Chat Noir (4/4)

Sa vodka finie et intégrée, exactement comme c'était de coutume chez les Goupoviens (1) du temps de Staline (c’était l’expression qu’il s’était choisie lui-même pour se donner une certaine consistance historique), Il me dévoila enfin l’objet de sa visite : me raccommoder avec mon voisin d’en haut. Du coup, j’eus présents en mon esprit, les contes des Monts Zbarbars, où le Diable, me racontait ma mémé les nuits d’été, n’osait jamais appeler Dieu nommément ; cela l’anéantirait disait-elle et m’intimait d’y déceler le signe diabolique qui ne trompe jamais. Fut-ce à cause de cela que je pris littéralement son expression ? Au risque d’encourir le ridicule devant le petit félin, moi qui me targuais tant devant la Tribu d’être un produit universitaire fini, rompu aux nuances discursives… -Mon Voisin d’En Haut ! Lui criai-je, idiotement je l’avoue, comme pour lui tirer la langue (à lui, le chat !), le mettre en demeure d’expliciter davantage sa proposition et de voir, à l’occa

Le Chat Noir (3/4)

Cela ne faisait aucun doute : c’était le Diable. Je puis en juger d’après sa façon de boire. Elle tenait plus du rituel que d’une quelconque soif à étancher. Humanoïde, je l’aurais volontiers pris pour la légende vivante du Six-Bottle Man. L’homme qui, disait-on au Club des Mohocks, pouvait faire « cul sec » d’autant de bouteilles qu’un convive lui eut offertes, d’un seul trait donc. Il me confia plus tard, qu’il trouvait ma comparaison malheureuse parce qu’il faisait un point d’honneur à ne boire que tranché du monde vivant, seul, et ajouta-t-il, tant qu’à étiqueter, il se serait laissé confondre avec l’un de ces combattants d’antan, condamnés à vivre isolés pour garder la fissure de leur cuirassier secrète. Un einheriar dut-il préciser. Un moment, je me rendis compte que sa phraséologie tenait elle aussi du diable. Le petit félin me semblait bien inspiré, comme animé d’une sainte conviction que j’en fus réduit à ne déceler dans ses propos le moindre effet de composition. -Vous, ho

Le Chat Noir (2/4)

Je ne sais si je puis dire qu’une fois dans la bibliothèque, le « le Maître et Marguerite » entre les mains, je me rendis compte qu’il n’avait jamais été parmi mes acquisitions. L’y aurait-il placé en mon absence ?et pour quel dessein ? je m’en remis alors à la note de lecture sur la couverture du roman et ne pus rien comprendre qui fût de nature à me donner une idée en rapport avec ce qui m’arrivait. Je pris la bouteille et enjambai les marches de l’escalier, deux à deux, la puce à l’oreille, bien déterminé d’en découdre avec le petit félin. -Ah ! de la vodka blanche traditionnelle ! Me lança-t-il. Sans la Bible et cette sacrée liqueur, le goulag n’aurait en rien profité à la littérature que nous lisons de nos jours, grande et sublime. N’est-ce pas ? -tout à fait ! Quand on en boit, notre esprit devient vif et notre imagination s’en trouve tellement aiguillonnée qu’il ne nous reste plus que de nous baisser pour ramasser les métaphores qu’on veut, à la pelle. Je peux en témo

Le Chat Noir (1/4)

Tôt ce matin, en m’installant là-haut sur la terrasse de l’immeuble, je croyais bien faire, moi le diabétique : manger mon petit déjeuner en mon âme et conscience, sans que l’on vienne me faire la morale, m’aviser du châtiment que j’encours au jour du Jugement dernier... J’allais m’y attaquer donc quand un chat noir, d’un bond, atterrit sur la chaise restée libre à ma gauche. Je le regardais un moment puis, estimant qu’il en était après mon lait (le pauvre était tellement maigre), lui offrit quelques lapées dans une assiette et du regard, lui intimai d’y aller mais paternellement, heureux d’avoir enfin le convive que j’avais tant attendu. Il faut dire que j’ai toujours été bien disposé à l’égard des petits félins et ne m'étais jamais permis de voir en eux, ainsi qu’il est d’usage chez mes compatriotes, un mauvais augure surtout quand ils en rencontrent de noirs, le matin. A moi, quand il m’arrivait d’en croiser un sur mon chemin, je restais indifféremment le même, disons sur le m