La Règle de Trois n'aura pas lieu

Qui a peur de Charles Martel ?

Il était venu me voir après une parenthèse de 15 ans pour, me disait-il, honorer la reconnaissance du ventre et surtout pour savoir ce qu’il était advenu de sa prophétie : Qu’un jour, GarAmud finira ses jours ou fou à lier, ou par un suicide à la seppuku ou alors en prison. Plus intéressent que la teneur de la prophétie, le ton qu’il y avait mis, sans sourciller, comme pour annoncer son ultime pétition de foi. Le connaissant bien, je ne pouvais que l’entendre de bonne oreille. Il faut dire aussi qu’en ces temps-là, nous étions tous des illuminés, tout le monde y allait de la sienne et les plus humbles d’entre nous, dont Saïd, l’homme en question, en proférait mais de personnelles, n’engageant ni l’avenir de la nation, ni celui de l’humanité. Ben Laden était encore un simple entrepreneur qui passait ses vacances en Espagne et qui, si le système saoudite était démocratique, serait aujourd’hui un simple opposant politique. A l’époque lui aussi se suffisait de prophéties anodines, aussi personnelles, se lézardant sur le sable fin de Marbella, une signora d’un côté, une autre de l’autre…Nos prophéties à nous, autres menus fretins, nous les devions plus à la chaleur des banquets estudiantins et aux relâchements orgiaques qu’à une certaine science infuse …

En revanche, Chaque fois que la chose m’était possible, je ne manquais pas de lui rappeler la mienne : que Saïd finira ses jours au bled comme il les y a vus pour la première fois, pauvre et miséreux, ne possédant des millions des sillons labourés sur Dame Nature que celui de son derrière. Et ce n’en déplaise au motto qu’il avait écrit en gros caractères sur la paroi de notre chambre d’étudiants : tout homme a deux patries : la sienne et la France. Pour cela il s’employait entièrement à étudier et à travailler sur une thèse qu’il voulait monumental à la gloire de Baudelaire ; à la suite de quoi il ambitionnait d’aller parfaire ses connaissances à Paris,…nous nous étions quittés bien avant l’accomplissement de nos études. Lui pour faire le métayer chez un notable de la région d’Agadir pour subvenir aux besoins de sa famille, moi pour faire le marché central de Kénitra à y exercer le dur métier de débardeur… nous avons évolué depuis dans nos carrières respectives, chacun de son côté, à jouer le rôle de Khourotto dans cette grande tragédie gréco-marocaine où les dieux et les éléments s’étaient légués contre nous.

Nous nous sommes enfin rencontrés au tour d’un pot. Heureux de voir qu’il n’en était rien de nos lugubres prophéties. Je suis toujours vivant, en possession de toutes mes facultés mentales et mon casier judiciaire est à ce jour immaculé. De son côté, il a pu enfin quitter son bled pour un autre, la France. Je savais que ses études et sa thèse sur Baudelaire n’y étaient pour rien et que, vue la tragédie qui était la nôtre, le drop out qu’il était ne devait son salut qu’à une de ces deus ex machina.

Tout au long de nos retrouvailles, je me sentais taraudé par la question de savoir comment avait-il pu enfin s’installer dans sa nouvelle patrie, s’il s’y plaisait et surtout comment y était-il parvenu, lui qui n’avait aucun soutien… un moment j’ai pu enfin placé cette putain de question, tout à la fin de notre saoulerie :

-Dis-moi Saïd : comment tu as fait pour y aller ?

L’homme mit sa moins droite sur son bas-ventre, l’empoigna en un geste si franc, si occurrent entre gars et dit :

-Voyons ! Je me suis marié et divorcé avec une Parisienne et si je suis à Paris aujourd’hui c’est grâce à mon 23 cm ! Uniquement à ça ! Et n’en déplaise à Baudelaire ! Etait-elle plus longue je serais à Bonn ou à Stockholm ! Etait-elle plus courte, je serais à Madrid ou à Séville … ou alors à Tanger !

-je vois ! lui répondis-je , l’air goguenard, …. A l’ère de l’Europe Citadelle, 23 cm donne droit à un pied-à-terre à Paris ? c’est bien cela ?

-Oui mon ami ! Et tu peux faire le calcul par toi-même pour connaître quelle ville européenne te reviendrait de droit et crois moi : Schengen n’y peut rien… vas-y avec la règle de trois et tu verras ?

j’ai fait le calcul mentalement, à l’aide de la règle de trois donc, et j’ai su alors qu’avec ma chose, je n’irai nulle part en Europe. La règle de trois m’ayant donné pour ville … Poitiers !

Etrange ! pour un arabe… non ?

Mais qui a dit :"You know you're an engineer when you have no life & can mathematically prove it." ?!