KHOUK ANA

Arra3i wa Arra3ia

Quand je change de bar, c'est pour aller le voir à l'autre bout de la ville, tout à lui, seul, dans un autre bar...

Lui et appelons-le Khouk-Ana parce qu'il aime à se prénommer ainsi, n'en déplaise à ses parents qui avaient immolé voilà quarante ans deux moutons au septième jour après sa naissance, en souvenir d'un lointain aïeul. Le prénom, Seif Eddine, que les parents voulaient grandiose à l'image de l'érudit ancêtre devenait avec l'âge un non sens aux yeux de Khouk-ana. la blessure du nom propre, comme dirait l'autre. A l'université, l'homme dût passer un coup de vernis à son athéisme, lui fixant sa couleur finale. Depuis, le prénom initial ne cadrait plus avec son horizon intellectuel, par trop sanguinaire (Seif Eddine : Glaive de la Religion) et , ainsi qu'il aimait à me dire, s'il rencontrait des brebis égarées sur son chemin la première idée qui lui effleurerait l'esprit serait ,avec un prénom pareil, d'appeler d'urgence le loup... et d'ajouter, j'évite de parler aux brebis et peu m' importe si elles sont égarées ou à la file indienne, dans le droit chemin, parce que cela leur apprend un savoir somme toute inutile; car du moment qu'on est pas citoyen à part entière mais seulement une brebis l'on finira forcément dans la gueule du loup ou, pire encore, dans celle du pasteur... Alors plutôt lui que le loup ou le pasteur. Alors Khouk-Ana dégaine son glaive et y va de ce pas, avec ses mots à lui : je ne vous hais point!

Pourtant, à le regarder vivre on ne peut pas lui récuser le prénom qu'il s'était choisi par lui même : Khouk-ana (je-suis-ton-frère). L'homme passe en effet aux yeux de son entourage immédiat pour un modèle d'humanisme. Il ira, dit-on, au paradis pour ses actes et à la géhenne pour ses imprécations d'ivrogne. il avait en horreur, Khouk-Ana, les paraboles religieuses, surtout quand elles sont instrumentalisées par les politiciens. Dès lors, il les trouvait toutes dégradantes à ses yeux et leur récusait jusqu'au droit de recourir à des métaphores animalières pour rendre un paternalisme dont il n'a jamais voulu ou une moralité qui n' a rien changé à la nature des choses : que le loup gagne à tous les coups