LA METAMORPHOSE

Mais son mal lui posait sur les yeux comme un voile de tendresse humide quand, comme elle aimait à dire avec une froide objectivité, elle éprouvait de "l'inclination" pour cet homme.
Lasse d’être quotidiennement violentée par Mr. Jilali, son homme, Mme. Drissia finit un beau jour par aller voir Sidi El Ghazouani le charlatan attitré de tout le douar pour un quantième grimoire. Ce dernier, pour avoir été consulté à cet effet inutilement et à plusieurs reprises, finit lui aussi par être las, exacerbé par la sauvagerie du mari et fit du bonheur conjugal de sa patiente, Drissia, une question d’honneur personnel, l’acte majeur de son accomplissement moral, en tant que Fquih. Et pouvait-il faire autrement ? Lui ? Sidi El Ghazouani à voir ainsi et sa baraka et sa réputation mises en équation par Drissia, la langue du village la plus déliée …

L'homme écouta non sans intérêt les doléances de la femmme battue et avant même que d'y aller avec son remède approprié, lui demanda de mettre un billet de banque dont il avait fixé la valeur nominative à 200 dirhams dans un bol qu'il disait de cristal et qui, vu de près, portait le label : Tiznit Plastik. L'argent disait-il indifféremment à toutes les femmes qui venait le consulter pour toutes sortes de déficiences conjugale, était le dû à Belzébuth, le plus redoutable des djins et néanmoins père de famille tout comme sidi El Ghazouani donc... les 200 dhs c'était pour les emplettes de Belzébuth; Jamais la pauvre Drissia ne saura que de Sidi El Ghazouani et de Belzébuth, le djin n'est pas celui qu'elle croit... il devait être un grand lecteur d'Apollinaire ce charlatan, sinon pourquoi est-ce qu'il avait nommé ainsi son Djin, son génie : Belzébuth! s'en rendait-on compte seulement ... Bien entendu que, pour Drissia, l'enfer c'était l'autre, Jilali.

Il demanda alors à Drissia de lui ramener quelques effets personnels du mari brutal pour y inscrire la teneur du grimoire. "Pas le plus quelconque de ses effets ! avait-il pris le soin de préciser, mais celui la même dont il serait le plus fier et qu’il portait pour les grandes occasions".


Drissia lui apporta sans trop réfléchir une chemise blanche de son homme, Jilali.

-voilà sa chemise préférée ! Il la portait sur lui pour frimer ou pour voir son excellence le caïd, surtout pour le Certificat d’Indigence. Signe s’il en est qu’elle a de la valeur au yeux de Jilali ! Cette chemise blanche, au tissu unique … Sidi El Ghazouani prit son redoutable calame et y inscrivit avec de la salive quelques mots tout en baragouinant je ne sais quoi dans la langue maternelle de Belzébuth. Puis il remit la chemise à la dame brutalisée. Et c’était tout…La métamorphose eut lieu pendant le rituel même.

La femme regagna son domicile, le plus naturellement du monde. L’homme qui lui ouvra la porte à son retour, Jilali himself, dût y aller pour une fois avec un bise en veine de bienvenu, à la place du jusqu'alors fatidique « Où est-ce que tu étais salope ? ». Mieux encore, elle le trouva déjà affairé à lui préparer le déjeuner, l’air de s’excuser que ce ne soit qu’une minable omelette. « Attends que je gagne à la lotterie, lui dit-il pour égayer l’atmosphère, et ce ne sera plus que des ortolans ! l'objet de tes éternelles lubies... »

Sur le coup, Drissia s’estima la femme la plus heureuse du monde, la plus comblée aussi et n’eut de cesse de prier pour la santé de Sidi El Ghazouani…son homme ayant changé du tout au tout. Jilali se mit à s’indigner, chose encore plus curieuse, quand elle lui apportait par exemple de l’eau chaude jusqu’à son lit pour lui laver les pieds. Il ne se laissait plus faire et pour la défaire de cette habitude devenue alors à ses yeux humiliante, il la prenait doucement par les bras et la faisait asseoir sur le bord du lit. Il se mettait à se les laver lui-même, de ses propres patoches donc; des fois même, il poussait la galanterie jusqu’à laver ceux de Drissia aussi et en premiers !

S’il était un produit universitaire fini, Jilali aurait pris l’exercice pour de l’acharnement thérapeutique. Mais dommage … le seul brevet officiel qu’il avait en poche était justement celui que lui délivrait le caïd : le Certificat de son Indigence.

Seulement voilà : Jilali perdait en performances sexuelles ce qu’il gagnait en terme d’égards et de galanteries. Chose qui n’était pas sans désespérer Drissia au point de la rendre nostalgique de son Jilali d’antan. Cette nouvelle donne finit par lui faire reprendre le chemin du fquih, après 40 jours d’expectation et de fausse espérance… qu’un jour, Jilali recouvrirait ce qui faisait de lui son Jilali tout craché, aimé la nuit, haïs le jour

-je viens te voir cette fois-ci, Sidi El Ghazouani, non pas pour les brutalités de Jilali mais pour son baisse de régime ! il n’assure plus comme avant ! Alors moi, la nuit, je reste sur ma faim ! Avant il me le faisait à raison de cinq fois le jour. J’étais le prélude à ses prières en quelque sorte et cela était comme un motif de fierté pour moi, Drissia . Mais mainteant il ne se rappelle plus de moi qu’une fois par semaine, seulement le samedi que je me suis mis à demander s'il n'étais pas devenu un roumi, mon Jilali...

-Désolé ! Lalla Drissia… le grimoire que je t’avais écrit est de ceux dont on dit qu’ils sont à effet irreversible ! tu dois faire avec ou alors tu divorces. Plus aucune solution. Ce devait être la chemise : Pour votre malheur, ton homme l’avait achetée chez Hmida le-Décrochez-Moi-ça, le marchant des vêtements usés donc. D’après son tissu, ce devait être une chemise décrochée à un eskimoo ou à un Lapons, les deux peuples à affectionner de nos jours ce tissu-la, le faux Daks … la seule explication possible à ce baisse de régime est qu'un Esprit venu du Grand Nord ait élu domicile dans le corps du pauvre Jilali. Il est de notoriété dans notre science que ces esprits-la haissent et fuient l'effet thermique. Ces esprits-la préfèrent les nixes et les ondines...

-Mon choix est fait : ce sera le divorce alors ! je peux endurer les coups et blessures de mon mari ; je peux me passer des ortolans et du luxe, des vêtements de valeurs et de l’or, des bagnoles et des kaftans …pour autant que mon homme assure la nuit et me fasse jouir ! Nous les femmes nous sommes comme ça ! et je ne m’en cache pas du reste …

-si tu te divorces d’avec Jilali, je postulerai dans les jours qui suiveront ta séparation car je te trouve à mon goût ! voudras-tu de moi alors ? comme mari …

-Si tu assures et si tu es bien doté pour mon bonheur de Drissia, je n’hésiterai pas un instant !

Sidi el Ghazouani se mit debout, ramena le pan de sa djellaba vers sa bouche et mordit dessus. Il lui montra ensuite sa chose, sa baraka ainsi qu’on la nomme dans le jargon des fquihs et dit à l’attention de Drissia :

-la voilà ! elle n’a absolument rien à envier à la plus aquine des ânes du douar ! mais je te jure que le jour où tu joueras à la petite coquette, où tu auras de ces envies pour un ortolan ou pour un caftan, je ne me suffirai pas d'une raclée à la Jilali, mais je te tuerai !

Commentaires

GarAmud a dit…
Aghiou igatt Belzébuth :)
Anonyme a dit…
Merci Gar pour ce fou rire :-)

En plus, je suis content car on a contribue a donner aux simples esprits une explication de Belzébuth :-)
GarAmud a dit…
il fallait le faire ! ces gens sollicitent les services de Belzébuth sans jamais se poser de question sur son identité ... mais plus maintenant ... rires !

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