Fleur de Savane

L’homme ivre, le geste prompt, secondé par une vigueur insoupçonnable chez les vieux de son âge et déjà que son vis-à-vis, pourtant plus jeune, s’en trouva du coup catapulté deux mètres plus loin. Le jeune se remit sur pieds et dit comme à son attention propre, la voix à peine audible :

-Pourtant je vous ai juste demandé mes 6 dirhams, le prix des trois cigarettes que je vous ai vendues voilà 3 mois… il n’y avait pas de quoi me traiter ainsi.

-mais tu aurais dû me le demander sans que tu me mettes les patoches au cou, comme si l’on avait gardé les cochons tous les deux ! Sais-tu seulement qui suis-je ?

-Non! Je ne me le permets pas monsieur … vous êtes un homme respectable. Monsieur ...

-Bien sûr que je suis un homme respectable et honorable ! et se peut-il seulement en être autrement quand on est commandant de son état, qui plus est à l’Administration des Douanes et Impôts Indirects,!

-mais c’est long ! monsieur, trois mois que je vous cours après, que je vous supplie pour mon argent …

-ton argent ! on dirait que je te suis redevable de la fortune d’un Chaabi ! si je vous ai acheté l’autre jour tes cigarettes de merde,au détail donc, c’est que j’étais de bonne humeur et que par ce geste hautement citoyen, j’entendais endiguer la récession salariale…

-C’est quoi la récession salariale ?

-Je ne parle jamais aux imbéciles ! cela leur apprend des choses. Sache seulement que je ne fume que le cigare et le mien s’appelle en l’occurrence Fleur de Savane ! La prochaine fois, si tu as à me demander quelque faveur, tu auras intérêt à ne pas me mettre la main sur le cou comme à ton ami de sniffeur ! Contente-toi d’y aller verbalement et sans passer outre le protocole ! Car nous ne sommes pas tous kif kif et rien ne ruinera ce pays que la perte du protocole !

Le commandant à la douane remit alors son béret, ramassa son porte-clef et avant que de sortir dût bousculer sur son passage le portier du bar, qui suivait la scène depuis l’entrée. Celui-ci se précipita vers le vendeur de cigarettes et lui dit « mais tu ne le connais pas ! suis-le et tu verras qui c’est vraiment !» . Le jeune homme sortit aussitôt, le pas pressé, et revint un moment après, sa chemise entachée de sang avec, à la main, le béret basque du commandant en douane.

- Le fils de pute ! je lui ai donné la raclée de sa vie et cela lui apprendra à jouer avec moi au commandant à l’Administration des Douanes et Impôts Indirects ! … ce n’est qu’un vendeur de l’eau de Javel ! il a une belle camionnette certes, mais vendeur d’eau de Javel tout de même …qu’il m’en mette maintenant trois bidons et cinq caisse de son protocole et de sa … comme disait-il! Le fils de pute ?

-la récession salariale ! lui répondit sur le coup Ba Driss, ravi lui aussi, qu’il en ait été ainsi, avec le faux commandant à l’Administration des Douanes et Impôts Indirects.