Le Cocu Magnifique 7/20

En ce temps-là, je souffrais d’incontinence urinaire et cela me faisait ponctuer pratiquement toutes mes activités par d’impérieuses visites, plus ou moins longues, aux chiottes. Par trois reprises, je me le rappelle encore, j’avais dû interrompre la soutenance de ma thèse ce qui faisait dire au jury ainsi qu’aux mauvaises langues, Aïcha en tête, que le thème (un truc sur Dieu) me foutait sacrément la trouille ! Chose encore plus paradoxale pour un athée. Plus tard, quand je lui avais expliqué la raison, toute technique, que j’avais à me comporter ainsi, elle dût en convenir et reconnaître au mot « chiottes » une deuxième acception : mon champ magnétique. Elle en prit note et dès lors, ne se formalisait plus pour suggérer aux gens qui cherchaient à me voir d’aller jeter un coup d’oeil au petit coin, ma bonne adresse.

Sauf que cette soirée-là, quand je l’avais laissée plantée devant le triptyque familial, le verre de whisky à la main, je croyais qu’elle mettrait « ça » encore une fois sur le compte de ma vessie, qu’elle n’y verrait aucun signe de malaise outre que celui technique, vésical… mais rien n’en était et, comme toujours, le hasard était, là encore, de son côté. Inutile d’y voir la main de Dieu, quand on est athée...

Je voulais juste me soulager la vessie et, estimant que la salle de bain m’était spatialement plus proche que les chiottes, j’ai dû m’y mettre plutôt qu’à l’endroit indiqué à cette effet, le petit coin. J’ y entrai donc et me trouvai devant la grande baignoire, contraint de m’y prendre avec, un peu à la manière des chiens, la patte contre le mur. Par je ne sais par quel rapprochement, je jetai un regard au matelas sur lequel Saâdia passait ses nuit et au moment même j’y allais de mon jet urinal, je fus interpellé par deux soutiens-gorge, laissés à l’abandon dessus le matelas, dans un indicible négligé artistique.

Par une technique dite d’obstruction, du reste bien rôdée chez les insuffisants vésicaux, j’appuyai sur le bout de mon sexe pour stopper le jet urinal, un peu comme pour le tuyau du jardin, les dimanches matin … pour atteindre le matelas j’ai dû traverser la salle de bain de long en large. Plus encore que par le coté négligé artistique de la scène, j’étais interpellé par le fait que ce soient deux soutiens-gorge de mensurations différentes, l’un de loin plus imposant que l’autre. J’en déduis que le gros était celui de Saâdia, je le pris de ma main libre, l’autre étant toujours à l’œuvre. D’un geste preste, je le mis sur ma tête et me mettais à fredonner « The Lady is a Tramp », ainsi qu’un crooner dans une comédie américaine…

She gets too hungry to wait for dinner at eight

She loves the theater but never comes late

She'd never bother with people she'd hate

That's why the lady is a tramp ...

Entendons-nous bien : ce n’était pas du fétichisme à proprement parler, car en aucun moment je n’étais passé au rituel, en déclamant la moindre formule par exemple, ou le traître vers de poésie. Ce n’était non plus du magnétisme animalier, car en aucun moment, je n’avais poussé de soupir, ni humer le tissu de quelque façon que ce fût. Juste que je l’avais mis sur la tête et mimé, quoique des bouts des lèvres, Frank Sinatra.